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Harcèlement moral : le juge ne doit pas faire peser la charge de la preuve sur le salarié

mercredi 16 février 2011, par Gil

Harcèlement moral : le juge ne doit pas faire peser la charge de la preuve sur le salarié
Paru dans Liaisons Sociales, N° 15790 du 08/02/2011

Tandis que certaines juridictions du fond déboutent encore des salariés de leur action en reconnaissance d’un harcèlement moral au motif qu’ils n’en rapportent pas la preuve, la Cour de cassation a jugé utile de rappeler, dans une décision du 25 janvier, le mécanisme probatoire spécifique applicable en la matière.
Mécanisme légal

Pour faciliter les démarches des salariés victimes de harcèlement au travail, le législateur a aménagé le régime de la preuve (C. trav., art. L. 1154-1). Le mécanisme probatoire repose ainsi sur deux étapes successives :

– dans un premier temps, le salarié concerné établit (par des courriers, attestations, certificats médicaux) des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement (mise à l’écart, sanctions injustifiées, formation non accordée, reproches permanents devant les collègues, etc.) ;

– dans un second temps, au vu de ces éléments, il incombe à l’auteur de ces faits de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que les actes et décisions litigieux sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (sanctions justifiées par une carence professionnelle par exemple).

Au fil des arrêts, la Cour de cassation, interprétant ces dispositions, a précisé les modalités concrètes de cette répartition de la charge de la preuve, ainsi que les règles méthodologiques que les juges doivent suivre (Cass. soc., 24 septembre 2008, nos 06-45.747 et 06-45.579). Ainsi, le salarié doit prouver la réalité des faits qui, selon lui, seraient constitutifs d’un harcèlement moral. Il n’a pas en revanche à prouver que ces faits sont constitutifs de harcèlement. Il lui suffit de les présenter aux juges. Au vu de ces faits – qui doivent être pris en compte dans leur globalité, sans en écarter aucun – il appartient au juge de décider s’ils sont susceptibles de caractériser ou non un harcèlement moral. Dans l’affirmative, il reviendra à l’employeur de prouver qu’ils sont étrangers à cette notion.

Dans l’affaire tranchée le 25 janvier, les juges du fond n’avaient pas suivi ce schéma. La salariée avait produit différentes pièces (courriers, attestations, certificats médicaux) relatant des faits laissant, selon elle, présumer un harcèlement moral : retrait des moyens nécessaires à l’exécution de son travail, changement de bureau, changement de clef, mesures consistant à la pousser à la faute, discrédit jeté sur la qualité de son travail, etc. Les juges du fond ont repris ces allégations une par une et, après les avoir analysées séparément, ils ont décidé qu’elles ne pouvaient pas être retenues à l’encontre de l’employeur, lequel n’avait fait qu’agir dans le cadre de son pouvoir de direction et de contrôle de l’activité des salariés.
Office du juge

La Cour de cassation a censuré la méthodologie suivie. Les faits retenus, c’est-à-dire ceux dont le salarié a établi l’existence, auraient dû être appréhendés par les juges dans leur globalité pour déterminer s’ils faisaient simplement présumer un harcèlement, au regard notamment de leur caractère répété et de la dégradation des conditions de travail qu’ils ont entraînée.

Par un attendu de principe, les Hauts magistrats rappellent ainsi les règles à suivre : « lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».

En l’espèce, il appartenait donc à la cour d’appel de « se prononcer sur l’ensemble des éléments retenus afin de dire s’ils laissaient présumer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, d’apprécier les éléments de preuve fournis par l’employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral ».
Cass. soc., 25 janvier 2011, n° 09-42.766 FS-PBR